A la question qui est Dieu ? Spinoza répond : « une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacune exprime une essence éternelle et infinie ». Autrement dit, l’être de Dieu est inépuisable pour et dans la spéculation humaine où les termes employés pour le dire riment aussi bien avec inexactitude qu’insuffisance. Parler donc de Dieu, c’est prendre le risque de mentir en ce que le dire de l’homme ne peut en aucun cas toucher avec une précision absolue l’être même de Dieu qui nous échappe toujours. Pourtant le caractère indicible de l’être de Dieu nous impose en lui-même le devoir et la nécessaire obligation de le dire. Il va sans dire que notre discours sur Dieu, être infini, sera forcément la négation de notre affirmation. Devant l’infinité et l’infinitude de l’être de Dieu, nous ne pouvons que balbutier et notre balbutiement ne peut être qu’un partage de notre expérience de ce que Dieu est avec nous. Pour nous, l’attribut le plus expressif et le plus profond qui touche au mieux la réalité divine est la miséricorde. Dieu est miséricorde ! Quand nous disons que Dieu est miséricorde, ne voulons pas simplement affirmer qu’Il est très prompt à pardonner et qu’Il pardonne inlassablement le pécheur qui regrette ses fautes. Cela serait trop réducteur, d’accorder à la miséricorde divine uniquement l’absolution des péchés. Quand nous affirmons que Dieu est miséricorde, nous voulons en anthropomorphisant, mettre en lumière la profondeur des entrailles de Dieu qui bouillonnent de tendresse et d’actions bienfaisantes. Les étymologies latine et hébraïque du mot miséricorde sonnent comme des véritables hymnes laudatives et révélatrices de ce qu’est Dieu. En effet, comme l’indique l’étymologie latine ‘’misericos’’ (être attentif à la misère), la miséricorde est la forme que prend l’amour lorsqu’elle rencontre la misère d’autrui. Le miséricordieux compatit à la misère de l’autre, non pas pour si complaire, non, mais pour l’en délivrer. La miséricorde est tout sauf un amour abstrait. L’étymologie hébraïque est ‘’ hésèd’’ qui est souvent traduit par le mot tendresse, le contraire de la dureté, mais son sens 1er est celui de la force maternelle, c’est pourquoi, il désigne aussi la fidélité de l’amour de Dieu pour son peuple, un amour qui ne se laisse pas vaincre par le mal. Avec l’éclairage de ces deux étymologies, nous comprenons mieux ce qu’est la miséricorde et pourquoi cet attribut sonne comme l’attribut exclusif de l’être de Dieu. Avec l’incarnation de l’Homme-Dieu, cette miséricorde a atteint son degré le plus parfait, ultime et divin. En effet, la miséricorde de Dieu s’était déjà manifestée de bien de manières dans l’Ancien Testament mais il lui manquait une dimension, celle d’être exprimée par un cœur humain qui l’a acquise à travers les expériences douloureuses de l’existence humaine. Le Christ a donné à la miséricorde de Dieu cette nouvelle dimension. La miséricorde sacerdotale du Christ n’est donc pas un sentiment superficiel, de qui est facilement ému par la souffrance des autres ; c’est au contraire, une capacité acquise grâce à des souffrances personnelles. Il (le Christ) nous montre par sa vie même que pour pouvoir compatir pleinement, il faut avoir pâti personnellement. Le Christ, parce qu’il a lui-même souffert quand il fut éprouvé, est en mesure de venir en aide à ceux qui sont éprouvés. Lui seul peut comprendre l’homme parce qu’il est le seul qui a éprouvé et porté la faiblesse humaine jusqu’au divin. La miséricorde, dans le ministère de Jésus s’est manifestée de façon inouïe. Loin de montrer une sévérité impitoyable contre les pécheurs, comme Pinhas, Jésus les accueillait, leur pardonnait, acceptait de manger à leur table (Mt 9,10-11), au point d’être appelé ironiquement « l’ami des publicains et de pécheurs » (Mt 11,19). Sa miséricorde était sans limites ; elle s’exerçait envers les malades, les possédés, les gens éprouvés, les pauvres, les petits, les foules abandonnées, les pécheurs. Au moment même où on le crucifiait, il priait pour que ses bourreaux soient pardonnés (Lc 22,34). La miséricorde a été l’attitude de Jésus le plus souvent évoquée dans les Evangile par l’expression ‘’il eut pitié’’ mais le verbe grec utilisé est ‘’ être pris aux entrailles’’. Avec Jésus, la miséricorde de Dieu prend un visage, elle devient une compassion qui déclenche une action.
Nous comprenons en conséquence, qu’en Dieu l’être et l’action sont confondus. Dieu est en lui-même ce qu’il fait pour nous et ce qu’il fait pour nous, Il le fait de tout éternité. La miséricorde se perçoit désormais comme le nom et le métier de Dieu. Dieu a un seul métier qu’il fait sans cesse : la miséricorde. Il nous poursuit éternellement de son amour. Quiconque fait ainsi fait, le métier de Dieu.